mercredi 4 novembre 2015

"Profession du père" de Sorj Chalandon

Je vous l'ai dit lundi dans mon Bilan du mois d'octobre, ce livre m'a posé quelques soucis au moment de le classer dans une simple catégorie bête et méchante du type "j'aime/j'aime pas". Déjà, ce n'est pas forcément le genre de livre sur lequel je me jette en temps habituel. Les romans français de Rentrée Littéraire, il faut que quelqu'un dont j'estime les goûts me les conseille et qu'on me les vende comme des chefs-d'oeuvre pour que je me force. Je sais, c'est mal mais c'est comme ça. Ce fut le cas pour le dernier Delphine de Vigan et ce fut aussi le cas pour celui-là (présenté sur le blog de LéaTouchBook). L'auteur, Sorj Chalandon, est apparemment une grosse pointure mais je n'avais jamais ouvert un seul de ses ouvrages (d'ailleurs, vous pouvez vous moquer, je croyais que c'était une femme, Sorj, pour moi, c'était féminin, allez comprendre...). Et puis, je trouve toujours qu'ils ne se foulent pas pour les couvertures et j'aime bien les beaux livres. Bref ! On s'égare.

Celui qui nous raconte son passé, de la petite enfance à l'adolescence, jusqu'à sa vie d'homme de plus en plus âgé, c'est Émile Choulans. Le petit Émile a une particularité : il ne connaît pas le métier de son père. Celui-ci semble avoir tout vu, tout vécu et être à l'origine de tous les événements et de toutes les décisions importantes du siècle. Et Émile le croit. Parce que c'est son papa, qu'il l'impressionne et qu'il en a peur. Nous n'avons pas à faire à un papa gâteau qui déploie tout son imaginaire pour divertir son fils, non. Nous sommes face à un père despotique, violent et cruel, rejetant clairement la médiocrité et la banalité, que ce soit la sienne ou celle de son enfant unique. Et sa nouvelle lubie, dont il confie la réalisation au petit Émile, n'est pas des moindres : tuer le Général de Gaulle (Let's Kill Hitler ! Pardon, mais j'ai eu ça en tête pendant toute ma lecture et il fallait que je l'exorcise, Doctor Who référence inside).

C'est un roman angoissant. Nous sommes plongés dans une bulle où ne vivotent que le père, la mère et l'enfant. Personne, ou presque, n'y rentre et personne, ou presque, n'en sort. Ça en devient une secte où la parole du gourou fait loi et aucune rébellion n'est seulement envisagée. La mère, soumise au même traitement que son fils, n'a qu'une seule phrase à la bouche "Tu connais ton père.", phrase qui a failli plus d'une fois me faire balancer le bouquin à travers l'appartement (et si possible sur un chat qui réclame à manger, histoire de régler deux problèmes en une fois)(non, ils ne sont pas maltraités, c'est moi qui le suis). L'écriture est géniale et grandit en même temps que le narrateur, naïve et enfantine au tout début, elle reprend les codes et les phrases du père lors d'une phase d'imitation (très dure à lire d'ailleurs) de l'Émile-adolescent. La construction est telle qu'on en vient presque, nous aussi, à CROIRE, à nous demander si les "fantaisies" du père en sont bien, peut-être le monsieur dit la vérité dès le début, peut-être qu'il est vraiment agent-secret, pilote, chanteur, judoka, que sais-je encore. On en vient même à l'espérer, pour que tout cela n'ait pas servi à rien, tout en sachant pertinemment, puisque ce n'est pas notre père et que nous ne sommes plus des enfants, que rien n'est vrai et que tout ça n'est que folie pure.

Vous l'aurez compris, c'est un roman bouleversant, qui nous met face à notre propre rapport à la paternité, à la folie et au pardon. Les personnages sont diablement attachants, on en vient à les détester et à les aimer en même temps, tous autant qu'ils sont. La mère est peut-être celle qui m'a le plus marquée, elle ferme les yeux, ne voit rien et ne veut rien voir (par amour ? par habitude ? par désespoir ? par lâcheté ?) ce qui la fait devenir aussi coupable que le bourreau principal. A l'inverse, le père, manipulateur et auto-centré, m'a paru moins détestable à mesure que ses troubles et névroses semblaient devenir de plus en plus incontrôlables et fantasques. Émile montre aussi sa part d'ombre, notamment avec plus faible que lui (c'est toujours plus simple ainsi) mais c'est finalement son absence de rancœur, son pardon presque biblique mais pourtant assez crédible, qu'il montre tout au long de leur vie commune, qui nous reste en tête longtemps après avoir terminé l'ouvrage (sans doute à cause de son côté incompréhensible pour la plupart des gens, dont je fais assurément partie).
5/5
Gros gros coup de coeur !


C'est en rédigeant cette chronique que je me rends compte que j'ai beaucoup plus aimé ce roman que je ne le croyais, il trouvera donc une très bonne place dans mes coups de cœur et juste à côté de En Finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis sur mes étagères, parce qu'ils ont éveillé chez moi des sentiments et des émotions similaires (je crois me souvenir qu'Eddy Bellegueule, il a vraiment fait son vol plané dans le salon) et contradictoires, ce qui fait que je ne suis pas prêt de les oublier.

15 commentaires:

  1. Je n'ai toujours pas trouvée le temps de le lire, et pourtant il me tente bien !

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    1. Il est vraiment très bien et pas très long mais on ne peut pas dire qu'il se lit rapidement, je me suis tellement énervée dessus que je n'arrêtais pas de le poser et de le reprendre, j'aime bien quand un livre me cause ce genre de réaction ^^ Tu avais aimé "Eddy Bellegueule" ?

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  2. J'apprécie ce genre de roman de temps en temps mais celui-ci ne me tente pas plus que ça ...

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    1. C'est sûr que c'est pas un roman facile :) mais il vaut le coup !

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  3. Je te suis sur cette lecture. Ma chronique allait dans le même sens. C'est dur, ça prend aux tripes mais ça vaut le coup !

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    1. Oui ! Je me suis permise de citer ton blog d'ailleurs, vu que c'est toi qui m'as donné envie de le lire :)

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  5. Salut, tout d'abord je voulais te remercier de me suivre un peu partout, ça m'a fait très plaisir. Ensuite, je ne connaissais pas du tout ce livre (en même temps, j'ai tendance à fermer les yeux sur la "rentrée littéraire", ça ne m'a jamais attirée plus que ça). J'aime beaucoup la façon dont tu rédiges ta chronique (et j'aime la référence à Doctor Who), et pour l'instant j'hésite à le lire parce que je suis du genre à faire voler un livre quand quelque chose m'énerve !

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  6. Salut, tout d'abord je voulais te remercier de me suivre un peu partout, ça m'a fait très plaisir. Ensuite, je ne connaissais pas du tout ce livre (en même temps, j'ai tendance à fermer les yeux sur la "rentrée littéraire", ça ne m'a jamais attirée plus que ça). J'aime beaucoup la façon dont tu rédiges ta chronique (et j'aime la référence à Doctor Who), et pour l'instant j'hésite à le lire parce que je suis du genre à faire voler un livre quand quelque chose m'énerve !

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    1. Hello ! Merci :) C'est le nom de ton blog qui m'a interpellé !! Idem pour la rentrée litt, mais je me laisse une fois de temps en temps et, sans me vanter, je dois faire quelques bons choix parce que je suis rarement déçue :D Chez moi, les livres volent parfois, mais c'est souvent un gage de qualité, sinon je les abandonne !
      Et Doctor Who, c'est la vie !

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  7. Alors moi qui n'étais pas vraiment tenté au départ par ce livre, je pense que ce livre pourrait me plaire car en effet on sent des petites ressemblances avec Eddy Bellegueule dans la figure du père. Je ne connais pas du tout l'auteur, même si j'en ai entendu parler et ce serai peut être un bon livre pour le découvrir =)

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    1. J'étais pareille que toi et c'est du coup une excellente surprise ! Ça m'a donné envie de découvrir ses autres ouvrages, on verra bien si ça continue sur cette première bonne impression ! J'ai hâte de lire ta chronique, si tu le laisses tenter :)

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  8. Je n'ai lu aucun livre de cet auteur non plus si ça peut te rassurer ;-)
    Ça me tente bien, mais je crains un peu la comparaison avec Eddy Bellegueule que je n'ai pas aimé :-/

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    1. Oui, les autres ne m'emballent plus que ça, peut-être à l'occaz :)
      J'avais beaucoup aimé Eddy Bellegueule mais je peux comprendre que ça plaise pas, c'est quand même très particulier ! Celui-là y ressemble sans être pareil, c'est dur à expliquer, c'est plus "fantasque"

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